
"Nous, d'un point de vue de l'analyse économique, on pense que Non."
Propos de François Mirabel, ancien doyen de la faculté d'économie, professeur en sciences économiques à l'université de Montpellier et spécialiste de l'économie des transports et de l'énergie exprimés lors de la Conférence du 14 janvier 2024 à l'Université de Montpellier et diffusés dans le magazine de Radio Clapas du 31 janvier 2025.
Avec extraits sonores, diapositives de la conférence et nombreuses références sur le trafic induit !
Faut-il encore construire des routes ?
"Nous, d'un point de vue de l'analyse économique, on pense que Non.
Construire des routes va complètement à contre-courant de tous les objectifs européens, mais aussi nationaux, de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Je vous rappelle qu'en 2050, l'objectif, c'est d'avoir zéro émission nette, le fameux objectif ZEN, qui est un objectif drastique et qui fait que dans les transports, aujourd'hui, on est à peu près à 120 millions de tonnes équivalent CO2 et il faut qu'on soit en 2050 à 4 millions de tonnes équivalent CO2 en France.
Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, mettre en place des infrastructures, c'est totalement incohérent avec les objectifs de réduction de gaz à effet de serre, c'est totalement incohérent avec l'empreinte au sol. On le voit, le zéro artificialisation nette a une problématique qui est très claire : c'est qu'il va entraîner une empreinte au sol très importante, donc une imperméabilisation des sols, alors même qu'on dit aujourd'hui que c'est une absurdité.
Et puis, clairement, construire des routes, on le sait, toutes les expériences au niveau mondial, au niveau national, au niveau européen le montrent : quand on crée des routes, on génère du trafic induit. Ce qui fait qu'une fois qu'on a de la congestion, on va avoir une fluidité du trafic retrouvée pendant un laps de temps très court et à nouveau, l'offre crée sa demande et on aura de nouveau des niveaux de congestion qui sont au même niveau, voire pire, à terme. »

Intoxication à la voiture ?
"C'est Edgar Morin qui en parlait déjà en 2003. Donc vous voyez qu'il en parlait très très tôt. On avait un culte sociétal de l'automobile. Vous lisez « Les 4 roues de la fortune » d'Alfred Sauvy, qui est un vieux bouquin extrêmement intéressant où on voit comment c'est un objet de reconnaissance sociale. Je crois clairement que la dimension aujourd'hui a changé quand on enquête les jeunes sur la représentation de l'automobile. Ils n'ont plus du tout la même perception aujourd'hui. Alors, je n'ai plus les chiffres en tête, mais les enquêtes qui sont menées en Europe et dans la plupart des pays montrent bien qu'on perçoit la voiture comme un moyen pour se déplacer et non plus du tout comme un objet de reconnaissance sociale. Donc il y a aujourd'hui les jeunes générations qui voient les moyens de déplacement de leur globalité comme un moyen d'aller d'un point A à un point B.
Et j'évoquais tout à l'heure Utrecht, dans laquelle les habitants d'Utrecht disent clairement que quand ils prennent le vélo, ce n'est pas parce que c'est moins coûteux, ce n'est pas parce que c'est bon pour l'environnement, mais c'est parce que c'est beaucoup plus pratique, c'est beaucoup plus rapide et ça correspond à une qualité de vie bien meilleure.
Donc ça, c'est quand même un élément, je crois, que l'information auprès des citoyens, elle est très importante. Et c'est par ce biais-là. Alors, tout à l'heure, j'expliquais que c'est ce qu'Edgar Morin disait. Il disait qu'il faut une éducation-civilisation. J'en suis persuadé. C'est-à-dire que je pense qu'il faut, dès le plus jeune âge, expliquer les questions de pollution, les questions d'émissions de gaz à effet de serre, les effets très nocifs que l'automobile a entraînés et les coûts sociaux qu'elle entraîne et pourquoi aujourd'hui, il faut prendre des trajectoires totalement opposées."
Intoxication à la voiture (1'40)
Quelles politiques publiques ?
"L'acceptabilité de la politique publique est fondamentale aussi. C'est-à-dire que ceux qui pensent qu'on peut mettre en place des politiques publiques qui visent à réduire drastiquement l'automobile, donc à pénaliser les citoyens à très court terme, sans leur proposer en amont des alternatives crédibles à l'automobile, se trompent. Il est normal de maintenir le droit à la mobilité.
Donc pour moi, la priorité, c'est d'avoir une séquentialité dans les politiques publiques. La séquentialité des politiques publiques est fondamentale : court, moyen terme et long terme. Et c'est pour ça que je parlais de la politique de Montpellier. On instaure d'abord des tramways, on instaure des pistes cyclables, avant peut-être demain de mettre en place des politiques réglementaires un peu plus dures. Mais dans tous les cas, je pense que la liberté de déplacement, elle est fondamentale.
Il faut maintenir ce droit. Et donc ça passe, à court terme, par des solutions où on va essayer de développer des modes actifs, modes doux. Alors à court terme, c'est quand même des investissements assez coûteux, des infrastructures coûteuses. Mais derrière, il va falloir aussi penser l'urbanisation à plus long terme, pour contenir l'étalement urbain. Parce qu'on ne peut plus se permettre d'avoir un étalement urbain dans lequel les personnes doivent parcourir 20, 30 kilomètres pour venir sur leur lieu de travail. Parce que là, effectivement, il y a très peu de modes alternatifs à l'automobile.
Et c'est là-dessus qu'il va falloir travailler à plus long terme avec les urbanistes pour transformer peut-être les villes pour qu'on ait une mixité fonctionnelle. C'est-à-dire qu'on a conçu les villes avec, d'un côté, des lieux d'industrie, les lieux de commerce, les lieux de résidence, les lieux de travail.
Toutes les dispersions des espaces, avec des spécialisations, des fonctions de la ville, elles sont aujourd'hui pénalisantes du point de vue de la pollution dont on parlait tout à l'heure. Parce qu'elles ont généré de la captivité des citoyens vis-à-vis de l'automobile.
Et il va falloir repenser les villes pour avoir cette mixité fonctionnelle, avoir des services de proximité, avoir des supérettes de quartier, avoir des éléments qui vont permettre d'avoir une véritable sobriété d'usage. On aura beaucoup moins d'automobilistes et surtout beaucoup moins de passagers-kilomètres transportés."
Pour en savoir plus sur la conférence :
Pour aller plus loin :
Le trafic induit (conférence de F. Héran diffusée le 11 février 2024)
Nombreux sont les articles scientifiques sur le trafic induit. Une petite sélection :
L'analyse historique des modèles utilisés par les ingénieurs routiers ; un écrit et une conférence de C. Gallez Les analyses actuelles du trafic induit par le modèle tout voiture de F. Héran : exemple de Grenoble et analyse du tout voiture (deux pdf).
Sélection d'articles en anglais d'approche scientifiques de Zipper et Metz : une étude de cas aux USA , et constat de l'écart entre prévisions des modèles et réalité des faits.
Sans oublier une dense littérature "grise". En particulier, consultez :
Une revue bibliographique réalisée en 2012 par G.Benet, Setra.
Une étude de l'OCDE pour les ministres des transportés réalisée en 1996.
Sur un mode plus détendu :
Un petit film canadien : Nos collectivités face au changement climatique Vidéo : durée 17' et si vous êtes pressé l'extrait !
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